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jeudi 15 mai 2014

Eduardo, l'exilé



La veille, il disait avoir passé une belle journée en famille. La présence de sa fille aînée, de son beau-fils et de leur petit garçon avait rendu le repas de midi plus joyeux.
À table il avait à nouveau évoqué son projet de retourner au Portugal. Il rêvait de retrouver les lieux où il avait passé son enfance, de reprendre les longues marches le long du Tage, de ressortir ses cannes à pêche. Sa femme et lui n'imaginaient pas terminer leur vie dans ce coin de France où ils avaient vécu avec le sentiment d'être des exilés.
Puis, comme ils le faisaient chaque dimanche, par tous les temps, ils étaient allés jusqu'à la mer. Certes, il avait toujours la nostalgie des plages de sa jeunesse mais en marchant au bord de la Mer du Nord, il éprouvait un sentiment agréable de liberté qui lui faisait oublier la monotonie de la cité.

Eduardo était né dans la banlieue de Lisbonne. Il avait dû quitter le pays natal à l’âge de seize ans quand son père, au chômage depuis plus d'un an, avait décidé de venir s’installer en France.
Celui-ci espérait trouver un travail dans le sud. Il dut y renoncer.
Finalement, le Nord l’avait accueilli. À cette époque, la sidérurgie prospérait ; dans la région de Dunkerque, on faisait souvent appel à la main d’œuvre étrangère. Eduardo et son père furent embauchés quelques semaines après leur arrivée.
Pour le jeune homme, ce fut une période difficile à vivre. Bon élève dans son pays, mais ne parlant pas un mot de français, il avait dû abandonner ses études. Tout lui manquait : ses amis, ses camarades, les paysages ensoleillés, les longues promenades à travers champs, les parties de pêche avec son grand-père…
Et puis, peu à peu, il s’était adapté à sa nouvelle vie. Quelques années plus tard, lors de vacances à Setúbal, il avait rencontré une jeune Portugaise. Ils s’étaient mariés l'année suivante et avaient eu deux filles.
Depuis six mois, Eduardo goûtait enfin les joies de la retraite. Quarante-quatre années de travail en usine l'avaient épuisé. Il ne comprenait pas ces écrivains qui chantent la beauté de l'acier rouge qui  fond. Lui, ce qu'il retenait des hauts-fourneaux, c'était d'abord la chaleur si difficile à supporter.

Le lundi après-midi, il a enfourché son vélo. Vers 16 heures, sur une petite route du Nord, l’inconscience d’un chauffard a brisé son rêve.
Eduardo a été renversé par une voiture ; selon un témoin, celle-ci roulait très vite. L'automobiliste ne s’est pas arrêté. 
Quand elle est arrivée à l'hôpital pour voir Eduardo, sa femme a appris qu'il venait de mourir quelques minutes plus tôt.



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