« Vouloir assurer l'éducation universelle par l'école représente un projet irréalisable;
les chances de réussite seraient plus grandes si c'était là l'affaire d'organismes
orientés dans la direction inverse de celle prise par l'école d'aujourd'hui. En effet,
il ne suffit pas de vouloir modifier l'attitude des professeurs face aux élèves, ni
d'avoir recours à un matériel pédagogique, électronique ou non, sans cesse plus
encombrant, ni encore de vouloir étendre la responsabilité du pédagogue jusqu'à
lui permettre d'envahir la vie privée de ses "disciples". Ces efforts-là ne sauraient
conduire à l'éducation Universelle. »
Ivan Illich.
Depuis qu' Ivan Illich a écrit son livre « Une société sans école » (1971), la situation du système
scolaire ne s' est pas améliorée, bien au contraire. Les évènements de ces dernières semaines ont
mis en évidence les tendances sécuritaires ministérielles. La répression n' est sûrement pas le meilleur
pilier d' une bonne politique éducative.
Lorsqu' on observe l' évolution de l' institution, de Jules Ferry à nos jours, on fait le constat que le
système éducatif s' est toujours adapté aux valeurs prônées par la société de son temps: à la fin
du 19e siècle il enseignait le patriotisme et parlait du colonialisme sans en faire la moindre critique.
Les leçons de morale mettaient l' accent davantage sur l' obéissance et le respect de la hiérarchie
que sur le développement de l' esprit critique. L' enseignement s' est adapté également aux besoins
économiques, et cette tendance va en s’ aggravant actuellement avec l’entrée de la publicité dans
les écoles, contribuant à l' aliénation de générations entières.
On peut aussi reprocher à l‘institution son incapacité à réduire le fossé entre les élèves de milieux
favorisés culturellement ou financièrement et ceux venant de milieux défavorisés ( à part quelques
exceptions ).
Cela résulte d’ une part d' une politique sociale insuffisante pour réduire les handicaps des enfants
avant leur entrée à l' école, et d' autre part d' une conception conservatrice de l’ Education nationale
qui, dans les critères d' évaluation, ne prend pas en compte ( ou insuffisamment) certaines
compétences ( habileté manuelle, qualités relationnelles, aptitudes artistiques, par exemple ). Comme
l' écrivait Illich, il faut rendre à la vie sociale, au travail, au loisir, leur valeur éducative.
L' Etat centralisateur a combattu avec acharnement, par le biais de l' école, les langues régionales, patois et dialectes, porteurs de cultures riches du point de vue linguistique.
L' enseignement, surtout au niveau universitaire, a tendance à enfermer les élèves dans un moule qui est celui de la pensée unique et de la docilité.
L’ école maternelle mise à part, les capacités de création et d’innovation des élèves ont été trop souvent étouffées.
Enfin l' école a contribué à véhiculer une conception masculine de la culture. Rappelons les programmes restrictifs pour les filles sous Jules Ferry, les a-priori machistes rencontrés dans les manuels scolaires.
Bien sûr, cette critique vise l’ institution et son cadre pesant, l’ Education nationale. Des enseignants ont eu le courage d' explorer d' autres pistes que les voies officielles. Parmi eux Célestin Freinet et son épouse Elise.
Freinet ( 1896-1966) , influencé par les travaux de Dewey, a mis au point une pédagogie basée sur
l' expression libre des élèves, l' organisation du travail en équipes ( apprentissage de la démocratie)
et du travail individualisé qui conduit à l' autonomie.
Mais cette pédagogie révolutionnaire ne plut pas à sa hiérarchie et il dut quitter l' Education nationale.
Et il faut bien reconnaître que malgré leur dynamisme, les partisans de Freinet restent de nos jours très minoritaires.
Quelle école pour demain?
L’ école alternative devrait s' inspirer de la pédagogie de Freinet. Par ailleurs, elle doit être conçue dans le cadre d’un grand service public chargé de l’éducation permanente, celle-ci intervenant tout au long de l’existence et s’ appuyant sur l ’école, en liaison avec des organismes mis en réseaux et sur l' auto-formation à laquelle chacun aurait été préparé.
Cela suppose une remise en cause d' un système dans lequel les années de scolarité obligatoire déterminent à tout jamais l' avenir des jeunes et la mise en place d' une véritable formation permanente, conviviale, en prise direct avec la réalité de la vie et l’expérience et s' appuyant sur des réseaux qui mettraient en rapport les détenteurs et demandeurs de connaissances et d’informations.