Propositions pour l'école :
Réponse à Mr. MACRON
Ces jours derniers Mr. Macron a voulu jouer le rôle de ministre de l'Education. Il a montré aux professionnels et aux spécialistes qu'il ne maîtrisait pas les dossiers, en particulier celui de la formation des enseignants.
Jeune instituteur en 1966, à l’occasion de la rentrée, j’avais envoyé une courte tribune au Monde. Bertrand Girod de l’Ain, spécialiste des questions d’éducation dans ce journal, se montra intéressé par ce que j’avais écrit et me demanda de développer mes idées, ce que je fis. Mon texte fut publié le 13 septembre.
Je le reprends aujourd'hui parce qu'il contient des éléments qui peuvent être utiles pour bâtir un enseignement de qualité.
1ère partie : la tribune publiée dans le Monde
« Nul ne peut le contester, l'école française va mal. Depuis de longues années, des élèves sortent du système scolaire sans diplôme, certains maîtrisent à peine les notions de base et – fait très inquiétant – les inégalités ne cessent de croître.
Dans ce contexte, la vieille querelle entre anciens et modernes paraît dérisoire car elle est dépassée. En effet, comment peut-on encore défendre des méthodes qui ont pu donner satisfaction dans le passé lorsque le but premier de l'école primaire était de conduire les élèves au certificat d'études et lorsque la plupart des gens faisaient le même métier toute leur vie ?
Depuis un siècle, la société a changé et il paraît naturel que l'école évolue avec elle. Mais cela doit se faire sur une ligne claire : il ne s'agit pas de reproduire dans l'école les travers du système dominant mais il faut donner à chaque élève, quel que soit son milieu social, les outils qui lui permettront de vivre le mieux possible dans un monde changeant.
L'école de Jules Ferry a permis de sortir les jeunes Français de l'illettrisme parce qu'elle était obligatoire et gratuite. Est-elle parvenue à donner les mêmes chances à tous les élèves qui l'ont fréquentée depuis cent trente ans ? Hélas, non, car quelques exemples de réussites d'enfants issus de familles modestes et accédant à des postes importants ne constituent pas une règle.
Cette école du passé produisait moins d'exclusions que celle d'aujourd'hui. Le mérite n'en revient pas aux méthodes d'autrefois, axées sur le par cœur et la répétition, il provient du fait que la société était alors différente : l'école primaire avait pour but de mener le plus grand nombre d'élèves au certificat d'études, une petite minorité (10% pour ceux de ma génération) allait au collège puis au lycée. Cet objectif modeste a conduit à maintenir pendant un siècle les clivages sociaux.
Il est du devoir de chaque enseignant d’examiner la situation avec courage. Ne nous masquons pas la vérité : actuellement la moitié des jeunes Français n’atteignent pas le niveau du certificat d’études, un tiers seulement des élèves suivent normalement dans nos classes.
Certes les effectifs de la plupart de nos classes sont pléthoriques et ne permettent pas de donner le meilleur enseignement mais là n’est pas la cause profonde de la carence que nous constatons. C’est toute la conception de notre enseignement qu’il faut remettre en cause, depuis la conception du rôle de l’instituteur, des méthodes, jusqu’aux aspirations de la jeunesse d’aujourd’hui, de ses rapports avec les adultes.
Combien d’instituteurs malheureusement ont une conception étroite de leur rôle et se montrent pleinement satisfaits quand la totalité de leurs élèves a été reçue à un certificat d’études primaires qui ne correspond plus à rien ! Combien jouent encore leur rôle de maître (le terme est significatif) à l’autorité paralysante !
Alors, que préconiser ?
Tout d’abord, une première remarque : toute réforme sérieuse doit tenir compte de l’importance de l’éducation de base. La formation des instituteurs est donc une chose capitale.
Examinons la formule actuelle : les trois premières années sont consacrées à la préparation du baccalauréat. Pendant trois ans, l’adolescent, au lieu de s’épanouir, connaît l’ambiance austère, la discipline pesante des internats, où les qualités profondes, au lieu de se développer, sont plutôt brimées. De plus, pèse sur lui la menace de l’échec à l’examen, échec qui se traduirait par un renvoi et le remboursement des frais d’études qui dans la plupart des cas s’avérerait catastrophique.
Reste la quatrième année, dite année de formation professionnelle. L’élève-maître l’aborde dans de mauvaises conditions. Après trois années pénibles, passées dans les classes de huit heures à vingt-deux heures, son état d’esprit n’est pas dans les meilleures conditions. Pourtant, pendant cette dernière année, il devra connaître la théorie de la pédagogie, la psychologie, la législation scolaire, etc... et suivre trois stages d’une durée d’un mois dans des écoles d’application.
La réforme des écoles normales demande donc à mon avis la suppression des trois années du système actuel et une formation pédagogique et humaine sérieuse qui demanderait deux ou trois années consacrées à la théorie de la pédagogie, à la psychologie de l’enfant et de l’adolescent, à la sociologie, à la culture générale, enfin aux stages dans des écoles-pilotes.
Cette formation devrait avoir pour but non pas seulement comme le préconisait de Ségur d’ouvrir des esprits, mais aussi de former des caractères. Car l’essentiel est bien de former des êtres responsables, des enseignants qui, ayant compris ce qu’est la société, sentiront le besoin de s’y intégrer, le besoin de participer et communiqueront ce sentiment aux autres.
Je préconise un enseignement qui favorise le goût de la participation et des responsabilités. Commençons par donner ce goût aux futurs éducateurs !
2e partie : l'article paru dans l'Université moderne
Quelques mois plus tard, à la demande de la revue L’Université moderne, je développais ma conception d’une école renouvelée :
« L’éducation de base est importante aussi bien du point de vue pédagogique que par le nombre d’élèves concernés : sur les onze millions d’élèves et d’étudiants que l’on compte en France aujourd’hui, n’y en a-t-il pas cinq millions et demi dans les écoles primaires ?
Certes, la formation d’une élite est nécessaire mais certaines constatations doivent faire réfléchir. Actuellement, la moitié des jeunes Français n’atteint que le niveau du certificat d’études primaires. La plupart de ces élèves lancés dans le monde du travail sans y être préparés, lassés des études au point de refuser toute culture après leur départ de l’école, ces jeunes gens qui subissent notre société sans même avoir conscience des ravages qu’elle peut provoquer, c’est à eux que toute réforme véritable de l’enseignement devrait penser en priorité.
Certains vont m’accuser sans doute de faire une caricature de l’enseignement primaire et de l’instituteur en particulier. Qu’on ne s’y trompe pas ! C’est parce que je crois en la vertu d’une école libératrice que je dénonce certains faits. Combien d’instituteurs ont malheureusement une conception étroite de leur rôle ?
Certes depuis plusieurs années des efforts sont faits et des enseignants mènent le combat pour former des élèves épris de culture, des êtres responsables, pour donner un enseignement qui ne soit pas en déphasage avec le monde moderne. Peu à peu, un courant nouveau s’est développé pour promouvoir une école émancipatrice mais il est encore très minoritaire.. On peut donc dire que dans l’ensemble des classes les méthodes n’ont pas beaucoup évolué depuis le début du 20e siècle. Alors que l’on est passé en soixante ans des débuts de l’automobile à la navigation spatiale, l’enseignement élémentaire a gardé ses traditions, qu’il s’agisse de choses secondaires comme la plume d’acier ou de choses essentielles comme la façon d’enseigner et les programmes.
Qui ose regarder la vérité en face est bien obligé de constater qu’une minorité d’élèves est intéressée par l’enseignement qu’elle reçoit. Ceux qui réclament la démocratisation de l’enseignement se rendent-ils bien compte qu’ils créent dès le départ de la scolarité des cloisonnements néfastes à l’épanouissement de l’enfant car le système actuel est incapable de réduire les inégalités sociales. En accordant trop d’importance aux capacités de théoriser et en négligeant d’autres qualités comme l’esprit d’initiative et les dons artistiques, on décourage certains élèves qui se retrouvent en situation d’échec.
C’est cette mutation qui doit s’effectuer si nous voulons que l’enseignement atteigne son but : intéresser les élèves, être profitable à tous et non à la minorité favorisée par son milieu social ou la forme d’intelligence sollicitée par l’école. N’oublions pas que celle-ci doit avoir le souci de contribuer à l’éveil des personnalités.
Les moyens pour cela ? Rendons l’enseignement vivant en le dirigeant vers la vie. Donnons à l’enfant tous les moyens de s’exprimer et de donner son avis, en participant par exemple aux décisions de la coopérative scolaire. Suscitons son intérêt, sa sensibilité, donnons-lui le goût du beau, la soif de connaître, formons des êtres responsables !
La première des tâches, celle qui apparaît comme étant capitale, doit être la formation d’éducateurs pénétrés de ces principes. Une réforme sérieuse au niveau des écoles normales s’impose.
Depuis leur création, celles-ci ont eu le grand mérite de former des générations d’enseignants qui ont permis aux gens du peuple de sortir de l’analphabétisme dans lequel ils vivaient avant les lois scolaires de Jules Ferry. Aujourd’hui un nouveau pas doit être franchi si nous voulons, après le premier stade qui a conduit à l’instruction de base, atteindre le second stade, celui de l’émancipation
La formule actuelle doit être modifiée. Pour être sérieuse, la formation des maîtres devrait être faite au minimum en deux ans après le bac, trois années étant souhaitables. Elle serait validée par un diplôme universitaire. Cela devrait permettre à l’instituteur de demain de retrouver la place que l’instituteur d’avant-guerre occupait dans la société.
Les dangers de notre civilisation, évoqués dans le film de Truffaut Farenheit 451 apparaissent à beaucoup d’entre nous. Les enseignants et les instituteurs en particulier ont ― et auront de plus en plus dans les prochaines années ― leur part de responsabilité dans l’évolution de la société. Il est temps de réagir si nous ne voulons pas que celle-ci soit submergée et de plus en plus conditionnée par l’image, par la publicité et l’automatisation. L’enseignement français doit opérer sans tarder sa mutation s’il veut atteindre son but : ouvrir les esprits, former des caractères, des êtres responsables et cultivés.
D'une manière générale, le niveau de formation des jeunes est faible. Dans une région comme la mienne – le Nord / Pas-de-Calais – cela ne posait pas trop de problèmes ; on pouvait travailler en mer, à la mine ou à l'usine sans diplômes. Mais lorsque la société a évolué, c'est ce manque de formation qui a handicapé notre région, c'est ce qui a rendu la reconversion si difficile ces dernières décennies.
Dans la société d'aujourd'hui (et plus encore dans celle de demain) le besoin de connaissances ne cesse de grandir, les compétences permettant de s'adapter en permanence aux évolutions, aux technologies nouvelles, sont devenues indispensables. L'importance de l'éducation n'a jamais été aussi forte. L'école a donc un rôle capital à jouer. Rappelons cependant qu'elle ne porte pas seule le poids de l'éducation : les
parents, les associations, les collectivités locales – dans le cadre de leurs obligations et au-delà même par des initiatives innovantes, les médias, sont aussi concernés.
On attend de l'école qu'elle permette à chacun-e de ses élèves de s'épanouir sur le plan personnel, qu'elle l'aide à trouver sa voie en explorant ses qualités, qu'elle lui donne les outils de base qui lui permettront de communiquer, de comprendre le monde qui l'entoure, d'acquérir l'esprit de curiosité qui conduit à la démarche scientifique, qui donne l'envie de se cultiver.
Elle contribuera ainsi à former des jeunes autonomes, créatifs, ayant l'esprit d'entreprendre pour participer au bien-être commun. »
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Ces deux textes ont été écrits il y a plus de 50 ans. Les objectifs qu’ils contiennent (former des êtres responsables et autonomes, améliorer la formation des enseignants, réduire les inégalités) n’ont toujours pas été atteints.
Bernard- J. Caron
ancien élève de l'école Normale d'Arras
ancien directeur d'école
ancien vice-président de la Région Nord-Pas-de-Calais, chargé de la formation