UNE PAGE SE TOURNE
(suite des billets du 30 mars et du 10 avril 2012 :
C’est un soir d’élection. A l’hôtel de ville, Maurice Darieu attend les résultats. Il y a sur son visage un mélange de tristesse et d’inquiétude.)
Maurice Darieu avait traversé la salle d’honneur de la mairie en s’arrêtant de nombreuses fois pour saluer les gens qui étaient de plus en plus nombreux. On lui demandait souvent son pronostic sur l’issue de la soirée. Il faisait immanquablement la même réponse :
— Un peu de patience ! Nous serons bientôt fixés.
Il s’était réfugié,avec son équipe de campagne, un peu avant 20 heures, dans une petite salle où la télé était allumée.
Maurice Darieu connaissait déjà les résultats de sa ville. Il arrivait en tête avec quelques voix d’avance seulement, ce qui n’était pas très bon signe. Au fur et à mesure, les résultats des autres communes de la circonscription parvenaient. Il était difficile de dire qui l’emporterait car les deux candidats faisaient pratiquement jeu égal.
À 20 heures, le brouhaha cessa, tout le monde se tourna vers le poste de télévision : le présentateur allait donner les premières estimations nationales.
Les mots qu’il prononça jetèrent la consternation chez les amis de Darieu. Le journaliste venait d’annoncer une large défaite du parti présidentiel.
Il n’y avait plus qu’à attendre les résultats de la circonscription ; une victoire de Darieu aurait été une consolation pour ses amis. Une demi-heure plus tard, le verdict des électeurs tomba : Maurice Darieu venait de perdre son siège de député, pour une trentaine de voix.
Pour son équipe de campagne, pour les militants qui l‘avaient aidé, c’était l‘abattement. Darieu les remercia, évoqua déjà de futures victoires, mais il ne leur dit pas que celles-ci seraient obtenues sans lui. Car sa décision était prise depuis quelques semaines : il terminerait son mandat de maire et dans deux ans il se retirerait définitivement de la vie politique.
Il y avait plusieurs raisons à cela. Les unes étaient d’ordre familial. L’état de santé de sa femme l’inquiétait, une opération lourde attendait celle-ci et Darieu estimait que sa présence auprès d’elle s’imposait. Il pensait aussi à ses deux enfants âgés de 16 et 18 ans qui ne cessaient de se plaindre de ses nombreuses absences. Le temps était venu de s’occuper d’eux.
Et puis il y avait une vérité qu’il avait jusqu’alors refusé de voir : la politique ne le passionnait pas. Elle entraînait chez lui des frustrations qui devenaient plus fortes au fil des années. L’ambiance des amphithéâtres, le contact avec les étudiants, lui manquaient. Il souffrait de ne plus avoir assez de temps pour réfléchir et trouver des idées neuves, pour écrire des livres qui pourraient contribuer à changer la société.
Maurice Darieu songeait à sa future vie. Des journalistes se précipitèrent sur lui dès qu’il revint dans la salle d’honneur. Pour eux il analysa la défaite de son parti, sans aigreur, avec une grande objectivité.
L’esprit de revanche n’était pas dans sa nature. Il laissait cela aux autres.