La catégorie Les gens comprend trois sortes de billets : les uns évoquent des personnes réelles, d’autres traitent de considérations générales ; enfin les contes brefs mettent en scène des personnages imaginés à partir d’observations de la réalité.
Le temps des regrets ( conte bref)
Première partie
Sur la terrasse de sa villa rose plantée en haut de la colline, il regardait la mer, installé sur une chaise longue. La maladie qui le touchait depuis quelques années ne cessait d’empirer ; il ne distinguait plus les détails ; la mer n’était plus qu’une grande grande tache bleue au milieu de laquelle il devinait quelques points blancs. Il restait ainsi pendant des heures sans bouger, perdu dans ses pensées.
Il ne pouvait plus se déplacer seul et était devenu difforme. Il venait d’avoir soixante-dix ans mais en paraissait vingt de plus.
Il était un vieil homme sans espoir, sans amis, sans famille.
Chaque journée paraissait interminable. Il passait le temps à repenser aux jours heureux, à l’époque où tout lui réussissait. Aujourd’hui était venu le temps des regrets ; mais il était trop tard. Il lui faudrait endurer jusqu'au dernier jour ce calvaire.
Bruno Monti repensait souvent à son enfance, à la petite maison où il avait vécu heureux entre ses parents et ses trois frères.
Son père était venu d’Italie pour travailler dans le bâtiment. Tout le monde dans le village savait qu’il était communiste. Il enseignait à ses enfants le partage et la révolte. La mère n'appréciait pas trop les discours enflammés de son mari. Elle faisait des ménages pour compléter le salaire du père.
Bruno était l’aîné. Ils étaient pauvres mais les enfants ne manquaient de rien.
Après le certificat d’études, Bruno devint apprenti dans une fonderie où il travailla jusqu’au service militaire. Au retour, il se maria avec une fille qu’il connaissait depuis l’enfance et ils eurent une petite fille. Quelques années plus tard, le jeune couple et l’enfant quittaient la région. Pendant plusieurs années, on ne sut pas ce qu’ils étaient devenus.
27 septembre
Deuxième partie
Au début de 1994, un article paru dans les pages économiques d’un quotidien régional attira l’attention de quelques lecteurs : les cimenteries Cimez venaient de désigner leur nouveau PDG ; il s’agissait d’un homme de cinquante ans originaire du Sud-Ouest, un certain Bruno Monti.
- Il y avait bien, dans ma classe, au début des années 50, un élève qui portait ce nom ; ce ne peut être lui, pensa l’un d’eux. Monti n’a pas fait d’études, je l’ai revu plusieurs fois au début des années 70, puis après son mariage ; il travaillait toujours à la fonderie.
Et puis au bas de l’article, il y avait une photo ; elle représentait le nouveau PDG.
L’homme, étonné, avait cependant reconnu dans le visage de ce patron quelques traits lui rappelant celui qui pendant plusieurs années avait été son camarade d’école.
- Drôle destin que le sien ! pensa-t-il.
L’ascension de Monti avait été fulgurante. Rien n’aurait pu laisser deviner un tel parcours. Et comme cela arrive trop souvent quand une personne de milieu modeste accède à un statut plus élevé, elle change. La métamorphose de Monti ne se produisit pas brutalement, elle se fit au fil des années. Plus le Monti ambitieux s’élevait dans l’échelle sociale, plus le fils de maçon cherchait à oublier ses origines.
D’abord, il se rendit de moins en moins souvent chez ses parents et délaissa les repas de famille. Puis il annonça à sa femme son intention de la quitter. Elle trouvait injuste cette décision mais elle se résigna car elle avait compris qu’elle ne pourrait rien y faire.
Pauline, leur fille - dix-huit ans - n’entendait pas subir la situation sans broncher. Elle avait hérité de son grand-père le caractère et le goût de la lutte.
Son père représentait tout ce qu’elle détestait, elle tint à le lui faire savoir.
Il s’était peu occupé d’elle les années précédentes . Elle avait décidé de ne plus le voir mais avant la rupture qu’elle pensait définitive, elle voulut lui dire ce qu’elle avait sur le cœur.
À ses yeux il était « un patron inhumain, insensible au malheur des autres ». Elle lui reprocha d’être un fils ingrat, elle dénonça son goût immodéré pour l’argent, sa passion pour les belles voitures, ses chasses en Pologne, en Hongrie, en Afrique. Il avait trahi ses anciens camarades, un jour il comprendrait ses erreurs, il serait à son tour victime de cette société terrible...
Quand elle eut terminé d’égrener la liste de ses critiques, elle laissa tomber un Adieu ! glacial.
Ce fut leur dernière rencontre.
§
Six ans après avoir été nommé PDG des cimenteries Cimez, Bruno Monti ne put empêcher son entreprise d’être rachetée par des étrangers. Il fut remercié et se lança alors sans grand succès dans des opérations hasardeuses en Afrique. C’est à cette époque que sa seconde femme le quitta. Puis vinrent les premiers signes de la maladie, les interminables souffrances et le temps de l'ennui.
Allongé sur la terrasse, la tête protégée par un chapeau de paille, Monti a le regard tourné vers l’horizon. Ses pensées sont sombres. C'est un homme seul.
Il n’arrive pas à accepter de s’être trompé de route.
Deuxième partie
Au début de 1994, un article paru dans les pages économiques d’un quotidien régional attira l’attention de quelques lecteurs : les cimenteries Cimez venaient de désigner leur nouveau PDG ; il s’agissait d’un homme de cinquante ans originaire du Sud-Ouest, un certain Bruno Monti.
- Il y avait bien, dans ma classe, au début des années 50, un élève qui portait ce nom ; ce ne peut être lui, pensa l’un d’eux. Monti n’a pas fait d’études, je l’ai revu plusieurs fois au début des années 70, puis après son mariage ; il travaillait toujours à la fonderie.
Et puis au bas de l’article, il y avait une photo ; elle représentait le nouveau PDG.
L’homme, étonné, avait cependant reconnu dans le visage de ce patron quelques traits lui rappelant celui qui pendant plusieurs années avait été son camarade d’école.
- Drôle destin que le sien ! pensa-t-il.
L’ascension de Monti avait été fulgurante. Rien n’aurait pu laisser deviner un tel parcours. Et comme cela arrive trop souvent quand une personne de milieu modeste accède à un statut plus élevé, elle change. La métamorphose de Monti ne se produisit pas brutalement, elle se fit au fil des années. Plus le Monti ambitieux s’élevait dans l’échelle sociale, plus le fils de maçon cherchait à oublier ses origines.
D’abord, il se rendit de moins en moins souvent chez ses parents et délaissa les repas de famille. Puis il annonça à sa femme son intention de la quitter. Elle trouvait injuste cette décision mais elle se résigna car elle avait compris qu’elle ne pourrait rien y faire.
Pauline, leur fille - dix-huit ans - n’entendait pas subir la situation sans broncher. Elle avait hérité de son grand-père le caractère et le goût de la lutte.
Son père représentait tout ce qu’elle détestait, elle tint à le lui faire savoir.
Il s’était peu occupé d’elle les années précédentes . Elle avait décidé de ne plus le voir mais avant la rupture qu’elle pensait définitive, elle voulut lui dire ce qu’elle avait sur le cœur.
À ses yeux il était « un patron inhumain, insensible au malheur des autres ». Elle lui reprocha d’être un fils ingrat, elle dénonça son goût immodéré pour l’argent, sa passion pour les belles voitures, ses chasses en Pologne, en Hongrie, en Afrique. Il avait trahi ses anciens camarades, un jour il comprendrait ses erreurs, il serait à son tour victime de cette société terrible...
Quand elle eut terminé d’égrener la liste de ses critiques, elle laissa tomber un Adieu ! glacial.
Ce fut leur dernière rencontre.
§
Six ans après avoir été nommé PDG des cimenteries Cimez, Bruno Monti ne put empêcher son entreprise d’être rachetée par des étrangers. Il fut remercié et se lança alors sans grand succès dans des opérations hasardeuses en Afrique. C’est à cette époque que sa seconde femme le quitta. Puis vinrent les premiers signes de la maladie, les interminables souffrances et le temps de l'ennui.
Allongé sur la terrasse, la tête protégée par un chapeau de paille, Monti a le regard tourné vers l’horizon. Ses pensées sont sombres. C'est un homme seul.
Il n’arrive pas à accepter de s’être trompé de route.
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