Les
Pensées éparses et Brèves que vous retrouvez chaque lundi sont une
autre façon de faire entendre la rumeur du temps présent.
Celle-ci,
chaque semaine, apporte son lot de drames et de joies dont il
convient de tenir compte pour agir et espérer.
Quelques
propos sur Albert CAMUS
Délaissons
cette semaine l'actualité pour évoquer celui qui fut l'un des plus
grands auteurs du 20e siècle, Albert Camus, dont on célèbre en
cette fin d'année le centenaire de la naissance.
Cinquante-trois
ans après sa mort, Camus continue d'entretenir la polémique.
Certains lui reprochent encore la position qu'il avait prise sur
l'Algérie ( son amour pour le pays où il est né lui faisait penser
que les deux communautés pouvaient vivre ensemble et l'emportait sur
l'idée que l'indépendance deviendrait inéluctable.
D'autres
aujourd'hui cherchent à le récupérer, ce qui pour l'historien
Benjamin Stora, auteur de Camus brûlant, paraît
impossible.
Une chose est certaine :
son talent littéraire est largement reconnu dans le monde entier.
LE
CHOC ( janvier 1960)
Au
début de l'année 1960, j'étudiais à l'Ecole normale d'Arras. À
cette époque, les élèves vivaient sur place. Dans les dortoirs, nous écoutions le matin les infos sur nos transistors pour ne pas
être coupés du monde extérieur. Quand nous avons appris le 5
janvier qu'Albert Camus était mort la veille dans un accident de
voiture, près de Sens, cette nouvelle fut reçue comme un
cataclysme.
Cette
mort survenait quarante jours après une autre disparition brutale :
celle de Gérard Philipe, le grand acteur de cinéma et de théâtre
qui allait avoir 37 ans. Parmi les pièces dans lesquelles il
avait joué, il y avait Caligula, écrite
par Camus.
Devant la mort de ces
deux hommes brillants que nous admirions pour leur talent et leur
personnalité attachante, troublés par ces deux destins tragiques, nous éprouvions, au-delà de la consternation, un sentiment confus de
découragement et de révolte.
CAMUS
plutôt que SARTRE
Après
une période où l'entente avait été bonne, les deux écrivains
s'étaient séparés sur la question du communisme : Camus
dénonçait les camps staliniens, Sartre gardait le silence sur ceux-ci ;
Camus était un humaniste, engagé dans de nombreuses causes ( contre
la misère, la peine de mort, la barbarie ; il luttait en faveur de la
solidarité, de la culture pour tous...). Contrairement à Sartre, il
ne croyait pas que la solution aux problèmes de la société se
trouvait dans le marxisme. Il pensait que les problèmes politiques
devaient être posés sous l'angle
moral.
Pour
toutes ces raisons, j'ai toujours préféré Camus à Sartre. Mais
lorsque - à l'adolescence - j'ai découvert l'auteur, c'est avant tout le
plaisir que j'ai trouvé en lisant L'étranger, La Peste, La chute,
qui a déterminé ce choix.
La beauté des textes de Camus transporte le
lecteur dans un univers proche de la poésie.
LE
STYLE
Camus
a été critiqué de son vivant, à la fois pour sa pensée et son
style que certains jugeaient trop simples, voire simplistes.
Ceux
qui parlaient ainsi n'avaient pas compris la modernité de Camus ou
bien ils pensaient qu'un auteur doit s'exprimer de manière obscure
et grandiloquente pour montrer son intelligence.
Il
suffit de lire quelques lignes de Noces à Tipasa (par
exemple) pour apprécier le style de Camus ; résolument
modernes parce que débarrassées des fioritures et des lourdeurs des
grands auteurs du 19e siècle, les phrases de Camus sont limpides,
claires, concises, tout en décrivant une situation, un sentiment,
avec une grande précision. Certaines d'entre elles atteignent la
profondeur d'un poème et on pense en les lisant à Francis Ponge (qui
fut son ami) .
L'ESSAYISTE
S'il
est un livre d'Albert Camus qu'il faut – selon moi - avoir lu,
c'est Noces suivi de L'été (paru chez Gallimard – Folio) dans
lequel sont regroupés les quatre essais de Noces et les huit essais
de L'été.
« Si
Camus ne vieillit pas, c'est aussi parce qu'il est profond et grave »
a dit un jour André Comte-Sponville, dans une interview donnée à
Lire.
On
retrouve dans la longue méditation de Camus sur les villes, le
désert, la mer, le vent...cette profondeur qui est celle des grands
penseurs. Mais Camus ne cherche jamais à asséner une vérité ;
la gravité se mêle souvent à la sensualité, à la volupté - par
exemple quand il parle de « cette entente amoureuse de la
terre et de l'homme délivré de l'humain » - et c'est cela qui crée
l'empathie.
LE
PREMIER HOMME (1994)
Bien sûr, il fallait
publier ce roman autobiographique qui nous permet de mieux comprendre
Camus, mais on regrette en même temps qu'il n'ait pu être achevé.
L'hommage à sa mère, la recherche du père, ont donné naissance à
de belles pages. On y note également la reconnaissance de l'écrivain
envers l'école laïque qui a permis à l'enfant pauvre d'Alger
d'aller vers la connaissance. Dans les annexes, deux lettres sont
très touchantes : celle de Camus adressée le 17 novembre
novembre 1957 à Louis Germain qui fut son instituteur et la longue
lettre de celui-ci, écrite en avril 1959 à celui qu'il appelait
encore son « cher petit ». Un tel respect de l'un pour
l'autre, une si longue amitié, sont les signes d'une grande
humanité de l'un et de l'autre.
UN
SOUHAIT
7
novembre 2013. Pour rendre hommage à Albert Camus France 5 a
programmé une émission spéciale. Parmi les invités figure
Catherine Camus, sa fille. Celle-ci avait sans doute beaucoup de
choses intéressantes à dire sur son père mais on ne lui donna pas
souvent la parole. Les autres – des spécialistes – se livrèrent
à de longs bavardages.
Quel
était le but de cette émission ?
Donner
l'envie de lire Camus ? Faire comprendre sa modernité ? Ces objectifs ne furent pas atteints.
En regardant cette émission, je
pensais aux jeunes d'aujourd'hui, la plupart désorientés par un
monde qui ne tourne pas rond. La lecture d'Albert Camus leur serait
si utile !
Mais
pour cela, il faudrait que la télé ait une autre approche de la
culture ou / et qu'il y ait beaucoup d'enseignants à l'image de Louis
Germain.