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vendredi 5 novembre 2010

LE JOUEUR D'ECHECS



CONTES BREFS ( 1 )

Qu’est devenu Boris Drigonov, le célèbre joueur d’échecs qui dans les années 70-80 était réputé imbattable ? Aujourd’hui octogénaire, il vivrait en Toscane, dans une maison de repos pour personnes âgées. Dans sa chambre, quelques échiquiers sur lesquels sont disposées soigneusement les pièces du jeu rappellent son passé glorieux. Boris passe devant ceux-ci sans émotion, ils ne lui rappellent rien.

Sa descente aux enfers a débuté ce jour de janvier 1991 où un puissant ordinateur l’a battu. Boris Drigonov ne s’en est jamais remis. Il a alors subi une forte dépression puis a vécu une période de mysticisme profond et s’est coupé  petit à petit  du monde réel. Mais avait-il connu dans le passé ce monde-là ? On peut en douter.
Dès l’âge de trois ans, le jeune Boris fut plongé dans le monde des échecs  par son grand-père, un ancien champion russe persuadé que ce jeu  avait mille vertus : il contribuait, selon lui, à former des gens  modestes, sensibles au vrai et au beau, leur donnait de la profondeur d’esprit et un caractère ferme. Il avait oublié que les échecs avaient parfois aussi un pouvoir de fascination destructeur.
Si le petit Boris battait déjà à huit ans des grands-maîtres expérimentés, il était par ailleurs un piètre écolier. On pouvait douter de son intelligence ; il avait par contre une mémoire exceptionnelle : il connaissait par cœur toutes les ouvertures possibles et leurs variantes, il avait refait des centaines de fois les parties modèles citées dans les  revues et livres spécialisés. Après chaque compétition, il rejouait mentalement les parties.
Plus sa renommée grandissait, plus Drigonov s’enfermait dans un univers particulier: il était obnubilé par le carré divisé en 64 cases sur lequel bougeaient  32 pièces de bois, celles qu’il manipulait et celles de l’adversaire qu’il imaginait devant lui.


Ce qui se passait dans le monde n'avait aucun intérêt pour lui. Il ne lisait pas les journaux, n’avait jamais ouvert un roman depuis sa sortie de l’école. Sa vie privée avait été un désastre. Marié à quarante ans par souci des convenances, il avait eu une fille dont il ne s’était jamais occupé.
Il était heureux ainsi, jusqu’à ce jour de janvier 1991 où son univers s’était écroulé.




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