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mardi 17 janvier 2017

L’école, la grammaire et le prédicat




    Il y a quelques jours j’entendais sur une radio une mère se plaindre de la réforme de la grammaire à l’école primaire. En cause principalement, un mot qui l’effarouchait : prédicat.
   Cette dame n’appréciait pas ce changement imposé aux élèves et disait en substance que désormais les parents (qui n’ont connu pour la plupart que la grammaire traditionnelle) ne pourraient plus aider leurs enfants.

   Pour répondre à ces remarques, il est nécessaire de replacer le mot incriminé dans le contexte de la grammaire et dans celui – plus global – de la fonction de l’école.

1. Est-il normal que des parents soient obligés de reprendre à la maison des notions que leur enfant n’a pas bien assimilées ?
  La réponse est non. Depuis 1956, les textes officiels sont clairs : en dehors de l’école le seul travail demandé aux enfants est oral ; il consiste à apprendre des leçons, des poèmes, et la lecture est recommandée.
Les devoirs écrits sont interdits.
   Il appartient à l’enseignant d’organiser sa classe pour reprendre ultérieurement avec les élèves qui en ont besoin les notions mal comprises. Pendant ce temps, dans la méthode Freinet par exemple, les élèves les plus rapides travaillent de façon autonome.
On le sait grâce aux enquêtes PISA : l’école française ne remplit pas son rôle en ne réduisant pas les inégalités sociales. Les familles aisées paient des cours privés à leurs enfants, les parents qui le peuvent les aident et les inégalités augmentent.
Réduire ces inégalités doit être la réforme essentielle de l’école.

2. À quoi sert la grammaire ?
   Si elle est une matière à part, déconnectée de la langue, celle utilisée par les auteurs et celle que l’élève emploie pour rédiger, elle ne sert pas à grand-chose.
La grammaire est une matière passionnante pour les spécialistes (linguistes, professeurs de français…) et peut parfois provoquer  de longs débats. 
   Pour l’élève du primaire et du collège, elle doit aider à mieux comprendre les phrases qu’il lit et à exprimer ses idées le plus clairement possible. Cela ne nécessite pas l’utilisation de termes compliqués. Célestin Freinet était partisan d’une grammaire implicite, faite d’observations, de constatations aboutissant à des règles, le vocabulaire précis de la grammaire venant plus tard.

3. De la grammaire traditionnelle à une grammaire qui structure
La grammaire traditionnelle - vieille de 2 000 ans et qui n'a pas évolué depuis le 17e siècle - analyse les différents éléments d’une phrase en commettant des imprécisions, voire des erreurs.
Le verbe exprime un état ou une action ? Que dire des verbes aimer et souffrir ? demande Georges Mounin dans son livre Clefs pour la linguistique.
Elle fige la pensée dans des définitions qui ne sont pas toujours justes. Ainsi l’adverbe ne modifie pas toujours un autre mot. C’est le cas de beaucoup dans la phrase suivante :
- Beaucoup se taisent quand un scandale éclate.

Elle entraîne des erreurs dans le raisonnement. Partons d’une phrase simple :
Pierre mange.
Pierre est le sujet, celui dont on dit quelque chose.
Mange est ce qu’on dit du sujet, c’est le prédicat ( ou verbe)
Enrichissons le prédicat :
Pierre /mange / des huîtres.  (sujet – verbe – COD (complément d’objet direct)
Les choses se compliquent quand on écrit :
Pierre mange des huîtres  à Noël.
La grammaire traditionnelle considère que "à Noël" est un complément circonstanciel de temps du verbe manger.
- Pierre mange quand ?
- à Noël.
Est-ce la réalité ? Non, il mange tous les jours, et même plusieurs fois par jour. Mais il a pris l'habitude de manger des huîtres à Noël. 
Cela nous démontre que "à Noël" n’est pas un complément du verbe seul, il complète le groupe de mots : mange des huîtres.

Cette grammaire ancienne fait du verbe le noyau de la phrase. Ce n’est pas toujours vrai. Dans la phrase :
On avait fait de la ville un camp retranché.
On fait apporte peu d’informations ; ce qu’il faut comprendre dans cette phrase, c’est que la ville est devenue un camp retranché.

Si Alphonse Daudet avait suivi la règle qu’on lui avait enseignée à l'école (une phrase doit toujours comporter un verbe), il n’aurait jamais écrit :
Mon bâton, ma pipe, et me voilà parti !
Mais plutôt :
J’ai pris mon bâton, ma pipe et je suis parti !
La vieille rhétorique enseigne comment on doit écrire. Le style échappe à ses règles.
                                                          *
  La linguistique, étude scientifique du langage, s’est développée en France à partir du début du 19e siècle notamment grâce à Ferdinand de Saussure. On ne peut continuer, au 21e siècle, d’enseigner la grammaire sans tenir compte des progrès réalisés dans ce domaine depuis deux siècles. 
   Il ne s’agit pas d’apprendre à des élèves de 10 à 15 ans  tout le vocabulaire de cette science mais seulement de leur faire comprendre l’organisation des mots d’une manière plus rationnelle et plus juste, en utilisant par exemple des représentations graphiques s’inspirant de l’arbre de Chomsky (voir photo ci-dessous).
  Cela serait un premier pas vers une meilleure approche du  fonctionnement de la langue, avant d’aller plus loin dans la complexité, ce que Chomsky lui-même a fait dans ses travaux.
                                  exemple d'arbre fourni par G.Mounin (Clefs pour la linguistique)

Dans cette optique, la réforme de la grammaire à l'école primaire va dans le bon sens car elle découpe la phrase de manière logique : sujet / prédicat / éventuellement complément de phrase ( à Noël dans l'exemple cité plus haut)



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