Il
y a quelques jours j’entendais sur une radio une mère se plaindre
de la réforme de la grammaire à l’école primaire. En cause
principalement, un mot qui l’effarouchait : prédicat.
Cette
dame n’appréciait pas ce changement imposé aux élèves et disait
en substance que désormais les parents (qui n’ont connu pour la
plupart que la grammaire traditionnelle) ne pourraient plus aider
leurs enfants.
Pour
répondre à ces remarques, il est nécessaire de replacer le mot
incriminé dans le contexte de la grammaire et dans celui – plus
global – de la fonction de l’école.
1. Est-il normal que des parents soient obligés de
reprendre à la maison des notions que leur enfant n’a pas bien
assimilées ?
La
réponse est non. Depuis 1956, les textes officiels sont clairs :
en dehors de l’école le seul travail demandé aux enfants est
oral ; il consiste à apprendre des leçons, des poèmes, et la
lecture est recommandée.
Les
devoirs écrits sont interdits.
Il
appartient à l’enseignant d’organiser sa classe pour reprendre
ultérieurement avec les élèves qui en ont besoin les notions mal
comprises. Pendant ce temps, dans la méthode Freinet par exemple,
les élèves les plus rapides travaillent de façon autonome.
On
le sait grâce aux enquêtes PISA : l’école française ne
remplit pas son rôle en ne réduisant pas les inégalités sociales.
Les familles aisées paient des cours privés à leurs enfants, les
parents qui le peuvent les aident et les inégalités augmentent.
Réduire
ces inégalités doit être la réforme essentielle de l’école.
2.
À quoi sert la grammaire ?
Si
elle est une matière à part, déconnectée de la langue, celle
utilisée par les auteurs et celle que l’élève emploie pour
rédiger, elle ne sert pas à grand-chose.
La
grammaire est une matière passionnante pour les spécialistes
(linguistes, professeurs de français…) et peut parfois provoquer de longs débats.
Pour l’élève du primaire et du collège, elle
doit aider à mieux comprendre les phrases qu’il lit et à
exprimer ses idées le plus clairement possible. Cela ne nécessite
pas l’utilisation de termes compliqués. Célestin Freinet était
partisan d’une grammaire implicite, faite d’observations, de
constatations aboutissant à des règles, le vocabulaire précis de la
grammaire venant plus tard.
3. De
la grammaire traditionnelle à une grammaire qui structure
La
grammaire traditionnelle - vieille de 2 000 ans et qui n'a pas évolué depuis le 17e siècle - analyse les
différents éléments d’une phrase en commettant des imprécisions,
voire des erreurs.
Le
verbe exprime un état ou une action ? Que dire des verbes aimer
et souffrir ? demande Georges Mounin dans son livre Clefs pour la linguistique.
Elle
fige la pensée dans des définitions qui ne sont pas toujours
justes. Ainsi l’adverbe ne modifie pas toujours un autre mot. C’est
le cas de beaucoup dans la phrase suivante :
-
Beaucoup se taisent quand un scandale éclate.
Elle
entraîne des erreurs dans le raisonnement. Partons
d’une phrase simple :
Pierre
mange.
Pierre
est le sujet, celui dont on dit quelque chose.
Mange
est ce qu’on dit du sujet, c’est le prédicat ( ou verbe)
Enrichissons
le prédicat :
Pierre
/mange / des huîtres. (sujet – verbe – COD (complément d’objet
direct)
Les
choses se compliquent quand on écrit :
Pierre mange des huîtres à Noël.
La
grammaire traditionnelle considère que "à Noël" est un
complément circonstanciel de temps du verbe manger.
- Pierre
mange quand ?
- à Noël.
Est-ce la réalité ? Non, il mange tous les jours, et même plusieurs fois par jour. Mais il a pris l'habitude de manger des huîtres à Noël.
- à Noël.
Est-ce la réalité ? Non, il mange tous les jours, et même plusieurs fois par jour. Mais il a pris l'habitude de manger des huîtres à Noël.
Cela
nous démontre que "à Noël" n’est pas un complément du
verbe seul, il complète le groupe de mots : mange des huîtres.
Cette
grammaire ancienne fait du verbe le noyau de la phrase.
Ce n’est pas toujours vrai. Dans la phrase :
On
avait fait de la ville un camp retranché.
On
fait apporte peu
d’informations ; ce qu’il faut comprendre dans cette phrase,
c’est que la ville est
devenue un camp retranché.
Si
Alphonse Daudet
avait suivi la règle qu’on lui avait enseignée à l'école (une phrase doit
toujours comporter un verbe), il n’aurait jamais écrit :
Mon
bâton, ma pipe, et me voilà parti !
Mais plutôt
:
J’ai
pris mon bâton, ma pipe et je suis parti !
La
vieille rhétorique enseigne comment on doit écrire. Le style
échappe à ses règles.
*
La
linguistique, étude scientifique du langage, s’est développée en
France à partir du début du 19e siècle notamment grâce
à Ferdinand de Saussure. On ne peut continuer, au 21e
siècle, d’enseigner la grammaire sans tenir compte des progrès
réalisés dans ce domaine depuis deux siècles.
Il ne s’agit pas d’apprendre à des
élèves de 10 à 15 ans tout le vocabulaire de cette science
mais seulement de leur faire comprendre l’organisation des mots
d’une manière plus rationnelle et plus juste, en utilisant par
exemple des représentations graphiques s’inspirant de l’arbre de
Chomsky (voir photo ci-dessous).
Cela
serait un premier pas vers une meilleure approche du fonctionnement de la langue, avant d’aller plus loin dans la complexité, ce que Chomsky
lui-même a fait dans ses travaux.
exemple d'arbre fourni par G.Mounin (Clefs pour la linguistique)
Dans cette optique, la réforme de la grammaire à l'école primaire va dans le bon sens car elle découpe la phrase de manière logique : sujet / prédicat / éventuellement complément de phrase ( à Noël dans l'exemple cité plus haut)
exemple d'arbre fourni par G.Mounin (Clefs pour la linguistique)
Dans cette optique, la réforme de la grammaire à l'école primaire va dans le bon sens car elle découpe la phrase de manière logique : sujet / prédicat / éventuellement complément de phrase ( à Noël dans l'exemple cité plus haut)
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